À vos sarclettes

_ « Manuello, regardes nous faisons la une de la Dépêche » Dis-je avec un sourire tout à fait assumé.

_ « Comment ça nous faisons la une de la Dépêche, mais que dis-tu là Félicio ? Pour quelles raisons pourrions-nous bien faire la une ? Allons, je t’écoute… » Interrogé-je Manuello.

_ «  Hé, bien figures toi que Monsieur LAPARTUT a rédigé un article suite à l’évènement qui a eu lieu aux jardins partagés le week end dernier. Il ne s’est pas contenté de rédiger cet article : il a transmis au rédacteur en chef de la Dépêche. Et, je te le donne en mille : nous faisons la une. » M’exclamé-je ravi.

Manuello et moi-même sommes deux vieux amis. Nous partageons depuis toujours une passion commune pour le jardinage. En arrivant en ville, nous avons dû nous résoudre à pratiquer notre passion au sein d’une parcelle réservée aux jardins partagés. De prime abord, nous avons été quelque peu contrariés par cette organisation qui nous était en quelque sorte imposée. Mais, rapidement, nous y avons trouvé de sérieux avantages. D’abord, la promiscuité favorise les échanges, cela nous a permis entre autre chose de nous faire de nouveaux amis jardiniers ! Ces échanges favorisent le transfert des connaissances, et ça se n’est pas rien. Le transfert de connaissances nous a permis d’optimiser le développement de nos cultures. Ainsi, nous faisons pousser nos graines dans les meilleures conditions possibles. L’optimisation du développement de nos cultures assure le maintien de nos savoir-faire. Cela est bon pour les générations futures. Le maintien de nos savoir-faire prend d’autant plus de sens qu’il s’ouvre aux prérogatives du progrès ; ici, l’évolution est à l’honneur. Les prérogatives du progrès supposent une réflexion alliant les agissements aux fondamentaux du développement durable. Et, ça c’est essentiel pour qu’évolution rime avec avenir radieux.

Bref, Manello et moi-même avons rapidement trouvé un bénéfice à jardiner au sein de cet espace dédié. L’organisation du lopin de terre de Manello est à peu près celle-ci : plusieurs sillons de cucurbitacées, trois ou quatre me semble-t-il, dans lesquels nous trouvons des courges, des potimarrons, des butternuts, des citrouilles et des pâtissons. Puis, à peu près autant de légumes racines, j’entends par là : les carottes, les betteraves, les navets, les panais, les rutabagas et les oignons. Dans le prolongement, il a planté plusieurs variétés de salade : frisée, laitue, chêne, mâche, batavia et roquette. Ensuite, quelques pieds de tomates : cerise, ronde et ovale. Pour finir, Manello a semé de ci de là des pieds de fraisiers. J’aime à dire que mon ami Manuello cultive un potager aux mille couleurs.

En vérité, ici chaque morceau de terrains cultivés à l’identité que son jardinier a bien voulu lui donner. Pour ce qui me concerne, je dirai de mon jardin qu’il est un jardin aux mille senteurs. Et, oui ! J’ai privilégié la plantation d’herbes aromatiques, j’y ai en culture du basilic, du persil, de la coriandre, du thym, du romarin, du fenouil, de la ciboulette, de la menthe et de l’origan. J’ai également planté  des légumes aux odeurs bien caractéristiques ce sont des variétés différentes de choux : j’ai semé des choux fleurs, des choux de Bruxelles, des choux verts, des brocolis, des choux romanesco. Dans la continuité des choux, nous trouvons mes légumes à feuilles : les épinards, les blettes, les asperges, la rhubarbe. Pour finir, j’ai opté pour quelques légumes racines : pommes de terre, radis et topinambour.

Vous avez maintenant un visu fidèle du jardin de Manuello et du mien. Rien de très exceptionnel, me direz-vous ! Vous avez entièrement raison mais que vous voulez vous c’est le plaisir de travailler la terre…

Amies lectrices, amis lecteur, je ne résiste pas à vous en décrire un autre, promis c’est le dernier, je comprends bien qu’énumérer les fruits et légumes plantés de ci de là n’est  pas très passionnant… Mais, tout de même, je me dois de vous parler de celui d’Ernesto. Son jardin à Ernesto pourrait être nommé sans exagération les mille beautés. Ernesto a fait le choix de ne semer que des fleurs. Ainsi, son lopin de terre est un patchwork de tournesols,  lys, glaïeuls, hortensias, primevères, pensées, verveine, violettes, muguet, cyclamens, sauge, fuhsias, marguerites, chicorée, jonquilles, jacinthes, tulipes, narcisses… Et bien entendu, nous pouvons y admirer des roses de diverses variétés : des Belles de Crécy, des cuisses de Nymphe, des warm wishes, des rosiers alba maxima, des Madame Hardy, des Jules Vernes, des haciendas. En fait, Ernesto s’est arrangé pour que tout au long de l’année, il y ait des plantes en floraison dans son carré de terre. C’est très réussi. Son jardin à Ernesto ravi autant par son aspect que par les odeurs qu’il diffuse. C’est un régal.  Ernesto est un expert en horticulture florale…

Amies lectrices, amis lecteurs, j’entends vos pensées. Vous vous dites : ʺoui bon d’accord c’est bien joli tout cela mais cela ne nous dit pas comment ils sont parvenus à faire la une de la presse localeʺ. Soit, pas t’inquiétude, je vais y venir…

Ces jardins partagés auraient pu faire la une du fait même de leurs existences, je veux dire dans le but de les promouvoir. Mais, non, non, ce n’est pas la raison de leurs apparitions à la une de la Dépêche. Cela aurait tout aussi bien pu être pour notre engagement éco responsable de la part de nous tous les jardiniers présents en ces lieux. Tous autant que nous sommes nous bannissons  les engrais  et traitements chimiques de nocivité reconnue et avérée. Mais, ce n’est pas toujours pas la raison qui a poussé les jardins partagés à la une du journal local.

Si je vous interrogeais à ce moment précis, sans doute me diriez-vous : c’est pour la gestion de l’eau. Et pour tout dire, il est vrai que nous avons pensé à l’arrosage optimisé de nos terres. Je m’explique rapidement : l’eau est, d’abord, puisée dans les réservoirs de récupération des eaux pluviales. Dès que ceux-ci sont taris,  le puits naturel vient prendre le relai. De toutes les façons, l’eau est acheminée par canaux à débit et diffusion variables. Ce système assure une gestion économique de l’eau tout en garantissant un apport suffisant en fonction du besoin. Tout à fait, à propos pour une conception moderne des jardins, pensez-vous probablement. Et, je partage là votre jugement. Mais, ce n’est pas ce sujet non plus qui a valu la une dans la presse locale.

En fait, voilà, tout est parti de l’idée lancée par Alberto : celle d’organiser un méga concours d’épouvantails entre nous tous les jardiniers. Nous n’avions pour seule contrainte que celles d’utiliser des matériaux de récupérations.

De magnifiques structures ont émergé de ci de là. Bois, tissu, PVC, bouton de coutures, mousse, disque compact, aluminium, ficelle, fil de fer, ruban… avaient ainsi eu la chance de vivre une seconde vie.

Évidemment, notre imaginaire a donné naissance à de multiples stratégies pour la confection de l’épouvantail. Certains d’entre nous avons choisi de privilégier la couleur ; c’est la cas de Félix, par exemple. Il a fabriqué son épouvantail en utilisant uniquement des matériaux rouge. Mais, la majorité d’entre nous pensions que la couleur ne garantirait pas l’efficacité de l’épouvantail dans sa fonction première c’est-à-dire celle d’éloigner les volatiles lors de la semence ou dès que les fruits et légumes sont arrivés à maturité. Nous reconnaissions, tout de même, pour cette catégorie d’épouvantails l’intérêt esthétique ; mais, à nos yeux ce n’était pas suffisant pour qu’un tel épouvantail remporte le concours. Parmi nous, certains avaient choisi de monter des épouvantails à hauteur et envergure très impressionnantes dans l’optique de dissuader les animaux à plumes de venir picorer leurs récoltes. D’autres encore avaient conçus des épouvantails qui produisaient du mouvement. Ces jardiniers avaient donc soit choisi des tissus très légers voletant à la moindre bise,  soit des toiles relativement  rigides qui avec la prise aux vents faisait tourner l’épouvantail sur lui-même. L’efficacité  de cette catégorie de mannequin était bien sûr nettement supérieure aux autres. Mais, encore une autre catégorie d’épouvantail fut imaginer par certains d’entre nous. Dans ce cas précis,  des éléments flottant dans l’air avec une brillance soutenue comme des bandes de papiers d’aluminium ou des disques compacts ornaient le mannequin. Nous jugeâmes cette catégorie à peu près au même niveau de performance que pour les épouvantails tournants. Pour finir, certains dont moi eûmes l’idée de mixer toutes les techniques. Nous fîmes en quelque sorte un panaché de chaque catégorie déjà testée. Le résultat fut somme toute, tout à fait probant. Du coup, nous décidâmes de désigner celui qui aux yeux du plus grand nombre été le meilleur sous tous rapport. Après consultation de nous tous, le vainqueur sans conteste fut l’épouvantail de Philipo. Il était parvenu à le confectionner de façon à ce qu’il soit coloré, grand, mobile et scintillant comme nul autre. Il reçut nos acclamations et nos sincères félicitations. Ce concours nous avait vraiment émoustillés. Nous étions redevenus de grands enfants…

Amies lectrices, amis lecteurs, j’entends encore vos pensées : ʺvous vous dites à l’orée du XXIème  c’est tout de même assez attendu l’épouvantail ; bon, certes, il y a l’organisation d’un concours mais de là à en faire le sujet en une du journal local, c’est un peu gros…ʺ

Là, encore, je partage votre opinion. Pour cette simple raison, je ne me serai pas lancé dans ce récit uniquement pour vous parler d’un concours d’épouvantails organisés par les jardiniers faisant la une du journal local. J’aurai sans doute eu l’impression de perdre mon temps et de vous faire perdre le vôtre. J’aurai, donc, tout naturellement ignoré le sujet.

En fait, amies lectrices, amis lecteurs, au terme du concours nous avons décidé d’apporter des améliorations à l’épouvantail Philipo, celui que nous avions élu comme le meilleur. D’abord, nous l’installâmes à l’entrée de l’espace des jardins partagés. Puis, nous l’avons agrémenté d’un pluviomètre, d’un thermomètre et d’un hygromètre ; toujours dans le respect de la contrainte de base, rappelez-vous  ʺn’utilisez que du matériel de récupérationʺ. Et, ce qui a fait définitivement pencher la balance pour que je vous parle de cette une est le système d’intelligence artificielle que nous avions implantée dans cet épouvantail. Sous son chapeau, un boitier récupéré  d’un jouet y était caché. Grace à ce boitier, l’épouvantail était doté d’une reconnaissance vocale automatique ; si bien que l’écran posé sur son buste relié au boitier affichait les réponses aux questions  à partir de sa base de données propres. L’épouvantail connecté en wifi peut, donc, nous informer sur des sujets aussi variés que les prévisions météo des prochains jours, les choix à retenir pour les types de plantations en fonction de la saison, les meilleurs moments pour récolter les produits de la terre, les meilleurs composts naturels en fonction de la plante… Riches de notre savoir, nous pouvions alimenter la base de données de l’IA de nos commentaires. Ainsi, nous travaillions pour les générations futures. Nous étions la marque des jardiniers modernes et fiers de l’être. Le rédacteur en chef de la Dépêche ne s’y était pas trompé. 

_  « Et oui, Manuello, c’est en grande partie grâce à toi que nous faisons cette une. » Dis-je.

_ « Ah, ça y est, je pense que j’ai deviné. En fait, c’est l’intégration du système connecté d’intelligence artificielle dans l’épouvantail de Philipo qui a émoustillé l’attention du rédacteur en chef. D’où, les jardins partagés en une… N’est-ce pas Félicio ? »

_  « Eh oui c’est bien ça mon vieil ami, vive les jardins partagés. »

Anne LAPOUGE