L’amitié t'ouvrira la porte de tous les possibles.

_ « Andros, peux-tu me passer le bloc note ? » dis-je avec fermeté.

_ « Comment ?… Quel bloc note ? Où ça ? » répond Andros.

_ « Devant toi. Sur la table, sous la bande dessinée » précisé-je.

Andros saisit le bloc note et se lève pour me l’amener sans rechigner. Andros est l’un des trois colocataires avec qui je partage la villa, rue des Acacias. C’est le plus jeune de nous tous. Il n’a que 21 ans, il est originaire de Cos, l’île grecque. Il étudiait à l’université d’Athènes jusqu’à l’année dernière. Grâce au programme Erasmus, Andros est venu poursuivre son cursus, ici, à Clermont-Ferrand.

C’est une chance que nous nous soyons rencontrés. Lui prépare des études longues en géologie : il s’est spécialisé en volcanologie. Moi, je suis en dernière année de gastro-entérologie.

_  « Merci, Andros. » dis-je.

Une fois, le bloc note donné ; il retourne s’asseoir dans le canapé d’angle et s’empare de sa tablette graphique. Actuellement, il s’applique à dessiner des  coupes de sédimentation de la chaîne des volcans auvergnats.

J’imagine à cet instant précis ce que vous vous dites, amies lectrices, amis lecteurs. « Mais, tout de même ! elle n’aurait pas pu aller le chercher elle-même son bloc note ; plutôt que de déranger Andros, qui plus est en plein boulot. Elle se prend pour une princesse ou quoi…»

Je vous arrête tout de suite.

Ce que vous ne savez pas encore (puisque je ne vous l’ai pas dévoilé), c’est que je suis, à l’instant même, en proie avec une dissection de souris blanche.  Mon objectif : en extraire l’estomac  pour observer son contenu. Du coup, je suis gantée, avec un masque de protection chirurgicale et des lunettes loupe ; et attention, ultime difficulté pour envisager tout déplacement, je tiens dans une main un scalpel et dans l’autre l’écarteur de chairs. Or, sur ce bloc note, j’y ai synthétisé toutes les étapes à suivre pour assurer un bon déroulement de dissection !

Amies lectrices, amis lecteurs puis-je maintenant admettre que vous excusiez mon propos impérieux chargé d’impatience ?

Sachez que je ne fais nullement de mes colocataires mes subalternes ! Mais, j’admets que quelques fois, je les appelle à l’aide. Au fil du temps, ils se sont accoutumés à mes travaux pratiques et à leur rôle d’assistant potentiel. C’est l’une des raisons qui m’a poussée à installer mon laboratoire expérimental dans notre  grande salle commune. Mais, ce n’est pas la seule raison : ma chambre ne supporterait aucun aménagement supplémentaire entre mon ordinateur relié à l’imprimante 3D, ma bibliothèque d’encyclopédies médicales comprenant entre autre tous les volumes de l’œuvre d’Hippocrate (ils m’ont été légués par un ami d’Andros médecin-chercheur résident sur l’Île de Cos), mon lit en 140 et mon fauteuil à bascule…

Et, puis, ne nous le cachons pas, j’aime bien avoir du public ! Le meilleur d’entre eux : Diego, l’étudiant en art visuel d’origine chilienne. Il a toujours cette petite répartie qui nous fait partir dans de mémorables fous rires.

Amies lectrices, amis lecteurs, si vous le permettez, j’en partage un ou deux avec vous.

Dixit Diego :  _ « Lisa (c’est moi : la future gastro-entérologue) écoute celle-là » me dit-il  « rapport d’autopsie : l’autopsie relève que la cause de la mort est l’autopsie. »

Puis, il enchaîne : _ « définition de la mort : état dans lequel se plongent certains patients pour humilier leur médecin. »

J’entends encore nos rires à gorge déployée qui nous en avaient quasiment fait perdre notre souffle.

Cette ambiance teintée de petites taquineries habiles colore notre quotidien et renforce nos liens d’amitié.

Au début, l’idée d’installer mon laboratoire dans notre pièce commune était loin de faire l’unanimité. J’étais la seule ni plus ni moins à soutenir mon avis ! Mais, rapidement, ce choix s’est révélé être le bon apportant finalement à chacun son lot de satisfaction ; entre autre chose, cet emplacement provoque des occasions de partager des moments uniques…

Prenons l’exemple de la dissection de ma souris blanche ; ce travail a immédiatement inspiré Diego qui s’est précipité sur son Nikon D5600 pour immortaliser cette séquence. À n’en pas douter, dans un second temps, il saura retoucher les clichés pour leur donner de la hauteur artistique. Diego est fin connaisseur des techniques de photographies et des traitements de l’image obtenus grâce à des logiciels spécialisés. Et, puis, il a ce sens artistique qui l’accompagne dans ses choix et lui donne une identité à part entière tout à fait singulière.

Ainsi, donc, sans vraiment nous en rendre compte, nous avons tissé des liens amicaux très forts et très vite après nos rencontres. Une osmose créatrice a émergé laissant ainsi de la place à de biens jolis projets.

Et, c’est sans doute la raison pour laquelle le dessein d’Aline (c’est la troisième colocataire dont je ne vous avais encore pas parlés) a pris une orientation, tout à fait, inattendue.

Je vais vous présenter rapidement Aline, amies lectrices, amis lecteurs.

Elle a grandi sur le versant Est du Mont Blanc, donc côté Italie. Elle est la fille d’un guide de haute montagne ; de randonnées en raquettes aux descentes en ski ou télémark ; ce massif n’avait plus vraiment de secrets pour elle. Elle a, donc, à l’âge de 22 ans, par un beau matin de printemps ,décidé de quitter ses terres pour venir se frotter aux massifs anciens auvergnats. En fait, ce n’est pas tant les massifs qui l’attiraient mais la pierre noire de Volvic. Andros lui, aussi, reconnaît un charme certain à cette pierre volcanique. Il avoue volontiers son agréable surprise dès son premier contact visuel avec ce minéral.  Cette pierre reflète une intensité, une profondeur exceptionnelle du noir. Les manuels qu’il avait consultés au Chili ne lui avait pas permis de percevoir ce caractère profond et bien trempé à l’image des autochtones de la région.

Amies lectrices, amis lecteurs, vous connaissez à présent tous les occupants de la villa, 12 rue des acacias à Clermont-Ferrand. Pour tout vous dire, cela fait tout juste 8 mois, que nous partageons ce même toit.

Sans doute, estimez-vous que nous en sommes encore à faire connaissance les uns des autres. Et, bien, méprenez-vous la qualité de nos relations est telle qu’elle tromperait quiconque voulant se prêter au jeu de dater le commencement de notre colocation !

Sachez tout de même que nous mettons tout en œuvre pour favoriser l’indépendance de chacun de façon à ce que nous puissions profiter de nos expériences pour parfaire notre épanouissement personnel ; malgré cela,  quotidiennement, sans pour cela forcé le trait, nos échanges viennent d’une façon ou d’une autre chatouiller nos sentiments d’amitié.

La porte de nos cœurs est en quelque sorte grande ouverte pour soutenir l’autre, pour l’embellir de douces paroles, pour lui permettre de se révéler sous son meilleur jour. Nous sommes en quelque sorte les anges gardiens les uns des autres : nos histoires singulières se rencontrent pour former un tout cohérent en perpétuelle évolution.

Aline répète souvent :

_  « Si je ne vous avais pas rencontré, je serai restée prostrée dans une vie sans mordant. » Pour tout vous dire amies lectrices, amis lecteurs ; ce beau jour de printemps, quand Aline a décidé de tout plaquer pour venir au pays de la pierre noire ; elle laissait derrière elle toute une promotion de camarades de l’école polytechnique de Grenoble, ses parents, sa terre natale…

Comment pouvait-elle être si sûre d’elle? me direz-vous ! Ce sont des ressentis intimes difficiles à rationaliser, selon moi (Lisa la future gastro-entérologue). Ils sont à prendre en l’état, rien de plus. Certains de nos choix sont pris sous le contrôle de notre raison ; d’autres sous le contrôle de nos passions. Nous pouvons choisir de nous économiser pour vivre une vie lambda ou bien nous pouvons choisir de vivre pleinement une vie atypique. Et c’est bien là l’intention ultime d’Aline.

La veille de son aveu, nous avions pris le dîner tous les quatre, comme c’est le cas régulièrement. Dans ces cas là, chacun s’investit dans la préparation d’un des plats du menu. Souvent, au cours de ces repas, nous nous dévoilons sur un point qui nous tient à cœur. Et, ce fut effectivement le cas hier soir. Aline, alors que nous commencions tout juste à prendre un petit apéritif, demanda solennellement notre plus grande attention. Nous nous exécutâmes.

Amies lectrices, amis lecteurs, voici les mots d’Aline :

_ « Mes précieux amis, j’ai quelques choses à vous annoncer. Ce matin, j’ai reçu le graal ! » Aline se mit à sourire, un de ces sourires marquant un méli mélo entre la  satisfaction et la béatitude. Nous étions là, silencieux, à attendre la suite.

Elle poursuivit toute guillerette:

 _ «  J’ai reçu, écoutez moi bien ; j’ai reçu… » répéta-t-elle

_ « L’acceptation pour débuter mon tour de France pour obtenir le titre de mes rêves :  celui de compagnon tailleur de pierre. Demain, je prendrai la route avec dans mon baluchon :  mon marteau bretté, mes ciseaux, ma pioche et mon fil à plomb.» Et, elle leva haut son verre de muscat.

Nous savions la passion d’Aline pour les pierres, ces nombreux stages de taille  en parallèle de ses études à l’école polytechnique de Grenoble ; mais, nous ignorions tout de ce projet…

Nous pensions qu’Aline était venue à Clermont-Ferrand pour finaliser son cursus d’ingénieur à polytechnique. Elle avait obtenu le transfert de son dossier sans difficulté.

Soit, il en serait tout autrement. Après une fraction de seconde, nous éclatâmes de joie à l’idée qu’Aline soit à la veille d’un projet de vie tant chéri.

Pour l’accompagner sur sa route, tous les trois nous décidâmes de lui écrire un court poème qu’elle pourrait lire et relire à l’envie. Le voici :

                                                                Vas-y fonce

Quand la chance te sourit jusqu’à te donner

Les clés pour la réussite de ton projet

De vie, alors vas-y fonce,sans réfléchir.

Hé ! Donnes le meilleur de toi pour enrichir

Ton Être tout entier à l’égal du maître

Instructeur façonnant ainsi ton paraître.

Signé : tes amis de toujours : Lisa, Andros et Diego

Anne LAPOUGE